Peut-on jouer avec les époques pour faire vibrer sa créativité ?
Un château millénaire et son aile contemporaine en verre, sacrilège ou pari iconoclaste réussi ? Existe-il un lien subtil et intemporel entre la mode et les chefs d'oeuvre du musée du Louvre ?
Place forte bien avant l’an mil, ce château a connu gloire et vicissitudes qui l’ont peu à peu laissé dans un état de délabrement avancé. Depuis sa réouverture en 2024 après plusieurs années de travaux considérables, il concentre aujourd’hui tous les regards.
L’immense galerie en verre qui ferme le côté sud de la cour carrée fait entrer les vignes de grande champagne de cognac et la campagne au cœur du château. Si ce choix osé fut loin de recueillir tous les suffrages au départ, les discussions contradictoires se sont tues progressivement pour laisser place à l’émerveillement. La pugnacité, la volonté et la vision des audacieux rebâtisseurs animés par l’amour de ce lieu et la furieuse envie de le voir renaître ont triomphé des innombrables difficultés à surmonter : ampleur des travaux, temps, financement. Bouteville qui fut tout à la fois un lieu d’attirance portant le parfum de l’interdit pour les enfants rejouant les aventuriers, celui des premiers rendez vous amoureux secrets des adolescents, ainsi que celui des visites post-repas dominical familial de beaucoup d’habitants de la région, retrouve une énergie communicative en s’offrant un nouveau souffle de vie. Telle une vigie, qu’il a été il y a un millénaire, il domine avec bienveillance le vignoble du cognac qui l’entoure.
N'être ni nostalgique d’un passé souvent idéalisé par la patine du temps, ni volontairement en opposition avec une période considérée comme « has been » ne relève pas systématiquement de l’évidence. Le regard sur le passé exige de nous plus de finesse qu’un simple regard binaire tel qu’on voudrait nous l’imposer pour régir notre vie : pour/contre, j’aime/j’aimepas, oui/non sans autre ligne de choix possible. C’est le principe des réseaux sociaux, de l’immédiateté de l’opinion sans recul et des positions exacerbées. Or c’est par un esprit de curiosité affûté qu’il est possible de se nourrir des éclats du passé, de son audace, de ses fulgurances, tout comme de ses égarements et faux-pas afin de trouver en nous le pitch créateur. Alors, les éventuelles croyances limitantes disparaissent pour laisser place à une véritable création contemporaine dans quelque domaine que ce soit. Cela vaut pour une activité artistique comme pour les petits bonheurs de notre vie quotidienne.
Et pour vous proposer un exemple éblouissant de correspondance entre les époques et les créations, je vous emmène au Louvre découvrir une exposition virtuose à ne surtout pas manquer.
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J’aime beaucoup aller voir les expositions temporaires dans les musées des villes où je vis ou que je visite. Je vois bien à quel point elles façonnent le regard que nous portons sur notre passé et notre héritage, notamment par la manière dont elles nous invitent à remettre en question les images et les objets qui nous sont familiers et à reconsidérer des artistes oubliés. Maria Grazia Chiuri Directrice artistique des lignes féminines chez Dior in in “Le Louvre couture, Objets d’art, Objets de mode”
Les correspondances semblant si évidentes entre les oeuvres du département des Arts Décoratifs du musée et les pièces de haute couture, ont demandé des heures d’un travail collectif et pluridisciplinaire entre les équipes du Louvre et les Maisons qui ont prêté des pièces de leur collection. Mettre en exergue ces 71 silhouettes et la trentaine d’accessoires sans faire d’ombre aux objets d’art de la collection du Musée qui les ont consciemment ou inconsciemment inspiré au fil des années relevait d’un exercice pour le moins périlleux. Le pari osé est d’autant plus réussi, qu’il permet également de (re)-découvrir des chefs-d’oeuvre du Louvre, de Byzance jusqu’au second Empire. Le Louvre ou le plus grand “moodboard” à disposition en plein Paris pour les créateurs de mode !
Cette complicité qu’entretient la dernière création d’Azzedine Alaïa en 2017 avec les bronzes patinés du musée en est un des exemples fascinants, lorsque l’on sait que la sculpture apprise en Tunisie avant son arrivée à Paris, fut sa première passion. - Robe en cuir d’agneau plongé noir ornée de clous de métal, plissée en bas par des godets de mousseline de soie noire-


Ce fut la dernière collection haute-couture printemps été 2019 de Karl Lagerfeld pour Chanel. Le créateur était un amoureux inconditionnel du 18è siècle. Il s’est inspiré de cette commode, oeuvre de l’ébéniste Mathieu Crissard, créé en 1742 pour une des maîtresses de Louis XV pour créer ce tailleur. La veste brodée par Lesage réinterprète le motif décoratif de la commode, la jupe est brodée de plumes d’autruche.
Le travail de broderie de l’atelier Lesage relève de la perfection. Répondant à une question de Loïc Prigent sur le nombre d’heures passées sur ce tailleur, le directeur artistique de Lesage lui répond “beaucoup” ajoutant dans un sourire espiègle “au-delà”.
Le Moyen-Age souvent associé à un époque sombre dans l’imaginaire collectif, dévoile sa richesse et sa chatoyance dans cette exposition. Mutines, les collections du musée jouent avec la flamboyance des pièces de chez Dolce & Gabbana ou Versace, rappelant discrètement leur antériorité. La collection Mosaico Sartoriale de Dolce & Gabbana nourrit un dialogue esthétique avec les fragments de mosaïque “Torcello” tandis que la robe longue en mesh de métal brodée de croix grecques et cristaux Swaroski s’expose en miroir face au tableau reliquaire de la Vraie Croix en vermeil repoussé et gravé.




Dans les appartements dits “Napoléon III” la démesure occupe une place de choix, concluant ainsi la visite en apothéose : robe à crinoline revisitée de Yohji Yamamoto (collection prêt-à-porter automne hiver 2015-2016) semblant défiler sur un catwalk imaginaire, robe en moire brodée et velours façonné de la collection haute-couture automne-hiver Dior 2005 face au tableau de l’impératrice Eugénie…
“Le rôle d’un créatif repose sur l’observation et le regard, qu’il s’agisse d’observer un paysage, un objet du design, une oeuvre cinématographique, un morceau de la culture pop, du sport ou de l’art. Dans l’art, comme dans la mode, se joue ce lien profond, cette synthèse entre la matière et l’idée - quelque chose qui passe de l’esprit à une forme tangible, à travers le travail de la main, ou la machine, l’outil. Je me nourris chaque jour de peintures et de sculptures venues du passé, autant que d’art contemporain…” Mathieu Blazy, Directeur de la création chez Bottega Veneta in “Le Louvre couture, Objets d’art, Objets de mode”
Cette mosaïque somptueuse est à découvrir jusqu’au 21 juillet au Musée du Louvre, aile Richelieu. Je ne vous en montre volontairement que quelques pièces pour illustrer le propos de cet article, et vous laisser ressentir par vous-même l’émotion de l’immersion dans cet univers de dialogue créatif entre passé et contemporain.
Cinq suggestions
Lire l’article complet que j’ai consacré au château sur le blog Living in cognac land
Visiter le château de Bouteville, ou le louer pour des évènements privés ou professionnels. Réouverture de la saison en avril prochain.
Prendre son ticket d’entrée pour Le Louvre avant le 21 juillet 2025.
Se procurer à cette occasion le superbe ouvrage “Louvre Couture, Objets d’art, Objets de mode” édité sous la brillante et érudite direction d’Olivier Gabet, conservateur général du patrimoine et directeur du département des Objets d’art du musée du Louvre.
Se convaincre que nous sommes tous des créateurs en puissance et ne pas hésiter à poser notre regard du quotidien à tout ce qui est source d’inspiration que ce soit des livres, des tableaux, des expositions, la nature, des films, la musique, le talent des femmes et des hommes qui nous influencent positivement… bref la vie.